"Soudain , dit Montluc , je
connus qu'il fallait que d'autres y missent la main que nos
gens de pied ,et dis à la noblesse :
"Gentilshommes , mes amis , suivez hardiment , et sans vous
étonner , donnez ; car nous ne saurions choisir une
mort plus honorable . " Et ainsi nous marchâmes
tous d'aussi bonne volonté qu'à ma vie je vis
aller à l'assaut , et regardai deux fois en
arrière ; je vis que tous se touchaient les uns les
autres. J'avais fait porter trois ou quatre échelles
au bord du fossé, et , comme je me retournais en
arrière pour commander que apportât deux
échelles, l'arquebusade me fut donnée par le
visage, du coin d'une barricade qui touchait à la
tour.Tout à coup je fus tout en sang,car je le jetais
par la bouche, par le nez,par les yeux. Alors presque tous
les soldats ,et presque aussi tous les
gentilshommes,commencèrent à s'étonner
et voulurent reculer.Mais je leur criai , encore que je ne
pouvais presque parler à cause du grand sang que je
jetais par la bouche et le nez: "Où
voulez-vous aller?vous voulez vous épouvanter pour
moi?Ne vous bougez , ni n'abandonnez le combat." Et dit au
gentilshommes:"Je m'en vais me faire panser;que personne ne
me suive,et vengez-moi si vous m'aimez ." Je pris un
gentilhomme par la main,et ainsi fut conduit à mon
logis,là où trouvai un chirurgien du
régiment de M. de Goas nommé maître
Simon qui me pansa et m'arracha les os des deux joues avec
les deux doigts, si grands étaient les trous,et me
coupa chair du visage, qui était toute
froissée.
Récit :Voyage aux
Pyrénées
Taine, Hippolyte Adolphe
(1828-1893) Document électronique]
/ par H. Taine BNF
"Voici M. de Madaillan, mon
lieutenant,lequel était à mon
côté quand j'allais à l'assaut ,et M. de
Goas à l'autre,qui venait voir si j'étais
mort,et me dit : "Monsieur,réjouissez-vous,prenez
cou- rage ,nous sommes dedans.Voilà les soldats aux
mains qui tuent tout;et assurez-vous que nous vengerons
votre blessure." Alors je lui dis : "Je loue Dieu
de ce que ce je vois la victoire à nous avant de
mourir.A présent je ne me soucie point de la mort.Je
vous prie de vous en retourner, et montrez moi toute
l'amitié que vous m'avez portée,et
gardez qu'il n'en
échappe un seul qui ne soit
tué."
Et à l'instant s'en
retourna et tous mes serviteurs même y
allèrent.En sorte qu'il demeura auprès de moi
que deux pages,et l'avocat de Las et le chirurgien.L'on
voulut sauver le ministre et le capitaine de là
dedans,nommé Ladous, pour les faire pendre devant mon
logis. Mais les soldats faillirent de les tuer
eux-mêmes,et les ôtèrent à ceux
qui les tenaient,et les mirent en mille pièces Les
soldats en firent sauter cinquante ou soixante du haut de la
grande tour,qui s'étaient retirés là
dedans,dans les fossés,lesquels se noyèrent.Il
se trouve que l'on sauva deux qui s'étaient
cachés.Il y avait tel prisonnier qui voulait donner
quatre mille écus.Mais jamais homme ne voulut
entendre à aucune rançon,et la plupart des
femmes furent tuées."